80 p. Noir et blanc
Format 19 x 13 cm3ème Concours Georges-Emmanuel Clancier de la Nouvelle.
Pour ce concours 2024, la barre était placée très haut, puisqu'il était demandé aux candidats de s'inspirer de ces cinq lignes de Georges-Emmanuel Clancier (Passagers du temps 1991):
« Sombre pierre, granit de l’âme,
Remonte la rivière d’enfance.
Quel souvenir quel chemin cherches-tu
Qui te donneraient cette clé ou cet écho
Si longtemps sans le savoir espérés ? »
Le 1er prix a été attribué à Anaïs ENON pour
A fleur d'eau. C'est l'histoire d'une fille d’entre Creuse et Corrèze, dont les pensées roulent à fleur de rivière : mais pourquoi la dit-on noire comme “lo fadat” ? Écoutant le poète, elle remontera la rivière d’enfance. Les réminiscences resurgiront À fleur d’eau et la mèneront alors à l’île lointaine dont jadis on vola les enfants. La Réunion… Anaïs vient de Marseille. Mais même là-bas, on a entendu parler de ce drame. Elle nous le raconte en des mots doux, qui coulent comme l'eau entre des galets, usés par le courant de la vie. Dominique DECAD-JANOUEIX, a reçu le deuxième prix pour La mille et unième source. Au pays dit des ”Mille sources“, en inventer une de plus, il fallait oser. Mais c'est l'histoire, sûrement vraie, d'une chanson passée de femme en femme. Elle raconte le secret de la lune et du soleil, de la pluie et du vent, des sources et des pierres de mémoire roulées par les rivières. D’où vient-elle ? De dame qui créa la toute première source, La mille et unième… Et le 3è prix revient à Evelyne LAPEYRIE, pour Les foulées sauvages Elle se remémore le temps disparu des Marie et des Julien d’ici. Mais jamais plus de main chaude et calleuse n’enserrera la sienne. Le bonheur n’est plus une rivière. Pourtant, elle restera et s’en ira avec lui dans des foulées sauvages, à l’affût d’un rayon, d’un angle, d’un ciel, et connaîtra des moments de grâce qui la feront vivre. Et pour les accompagner, dans ce recueil, une surprise : le texte d’un auteur qui fut lui aussi débutant, le tout premier qu’une revue voulut bien éditer : La couleuvre du dimanche, de G.-E. Clancier lui-même. C’est l’histoire d’un beau dimanche passé par trois amis porcelainiers au bord de la Briance, et de cette couleuvre qui glissait entre herbes et pierres. Le poète lui-même remonta-t-il, ce jour-là, sa rivière d’enfance ?…
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Extrait 1 - A fleur d'eau par Anaïs ENON
L’année de ses 15 ans, Madame lui dit de venir au salon. Comme tous les dimanches, Monsieur est installé dans son fauteuil en cuir, Madame dans le sien et Marie-Charlotte sur le petit tabouret, un repose-pied faisant ici office de repose fesse. Avec son ton sec et ferme et froid habituel, Madame Maleterre lui annonce qu’elle a été adoptée quand elle avait 5 ans, que sa famille et sa mère biologique ne voulaient plus d’elle et qu’ils avaient gentiment accepté de l’accueillir. Qu’il n’y avait pas plus de questions à poser car il n’y avait pas plus de réponses à donner. Et la discussion fut close. Malgré la pluie, malgré le cœur qui tambourine au risque de tomber, Ma-Cha enfile son manteau bordeaux, ses bottes en caoutchouc vert kaki et file à la rivière en contrebas. Le seul endroit où le poids des paroles qui transpercent la chair, la douleur du froid, le tas des incompréhensions, les gerçures et les blessures en encoignure s’effacent. (…) La nuit, des images de grappes d’enfants, d’avion, de bonnes sœurs, un garçon plus grand qui crie d’effroi, sa petite robe d’été, le froid de l’eau et le dispersement traversent ses pensées. Alors elle écrit, elle apprend par cœur ses poésies, elle lit des histoires qui finissent bien, celles de Cendrillon et de La petite Fadette qu’elle ajuste et transforme en y mettant ses aspirations, ses odeurs piments, ses images fleuries et ses rêves. Ici, des petites fleurs violettes se nichent en ses yeux, elles poussent entre deux branches de bois mort. En contour, une mousse s’y est frayé un chemin. Les pulsatilles font partie des renonculacées, famille des vivaces. Elles sont solitaires, dressées ou inclinées avec une collerette plumeuse, de couleur mauve, bleu violacé ou rose, elles sont rarement blanches. Elles ne renoncent jamais.
Extrait 2 – La mille et unième source par Dominique DECAD-JANOUEIX
Au
plateau de Millevaches, il est une très, très vieille légende oubliée.
Rares sont les familles qui se la sont transmise, génération après
génération. Et pourtant, chaque homme, chaque femme issue de ce lieu en
est marqué à vie, bien souvent sans le savoir. Cette légende, mais
n’est-elle qu’une légende, remonte aux temps lointains des aïeux des
aïeux des aïeux de nos anciens, aux temps où l’on ne priait pas encore
un seul Dieu et son Fils mort sur une croix. (…) Extrait 3 – Les échappées sauvages, par Evelyne LAPEYRIE
Là-bas était une bâtisse un peu étrange, mitoyenne. Un ancien monastère disait-on. Modeste sans doute, agricole sûrement. À bien y regarder on comprend l’unique et long corps aux joints de terre crue, qu’un vilain mur a partagé bien plus tard, quand la construction est revenue à d’ordinaires chrétiens. Elle devint le royaume de ton enfance. Mais bien avant elle fut le refuge de Julien et Marie, laissant derrière eux pour lui le métayage, pour elle le mariage arrangé. La liberté se paiera de doubles journées. Il gagnera leur vie à l’usine du Saillant. C’est la grande époque où l’on édifie un peu partout des centrales électriques et des barrages. Il se partage entre la petite centrale de Pouch et la grande centrale, plus bas. Tous les jours, ses pas suivent la Vézère en aval puis, en amont. Il emporte un coin de pain noir et un bout de caillade durcie. Après, il fauche la fougère sèche qui fera la litière, laboure le champ avec les bêtes sous le joug et pousse la charrue ; il bêche le jardin s’il ne fait pas trop nuit. C’est une petite ferme, mais avec du courage tout y vient (…). Ici... Beaucoup l’ont quitté, ce territoire de landes et de tourbe peu nourrissantes. Tant ne s’y sentaient pas d’y vivre, trop loin des promesses de la ville. Mais d’autres l’ont gardé ce pays, n’ont pas voulu l’arrachement, n’ont pas suivi le chant des sirènes par crainte ou par volonté, peu importe. Ils ont conservé les pierres debout, s’y sont construits avec ténacité tout du long, bien avant cette mode du retour aux sources et de la bienveillance de la nature, du luxe de l’espace (…). Jamais rien de gagné. L’envie de fuir parfois. Se noyer dans la nostalgie des pierres chaudes, des fraises des bois ou des bars anonymes, des rues bariolées. Et puis, demeurer au coeur des milles sources et de la Vézère farouche. Extrait 4 - La couleuvre du dimanche, par Georges-Emmanuel CLANCIER C'est la surprise de ce troisième volume de la collection « Prix G.-E. Clancier de la Nouvelle », reproduite ici avec l'aimable autorisation des enfants de l'auteur, Sylvestre et Juliette Clancier (Il s'agit dune de ses premières œuvres, éditée en 1937 dans la revue Mediterranea, accompagnée de linogravures originales d'artistes limousins, et reproduites ici.) ![]() Il remontait s’étendre à la lisière du bois, là où venaient battre sans bruit les vagues de l’herbe. Maintenant les ombres gagnaient du terrain. Il avait résisté à l’envie de plonger dans le pré, pour remplacer il était revenu dans la Briance. Il voulait surprendre les amoureux sur la rive et les asperger. Soudain un froid le saisit à la hanche et glissa. Il pensa à un courant qui se nouait par là ; brassa l’eau, partout il lui trouva le même toucher uni. Vers le milieu de la rivière il vit un sillon avancer ; il comprit ; il avait croisé la route d’une couleuvre et ce frisson qu’il avait ressenti, c’était les écailles sur sa peau Son oncle lui avait appris dès l’enfance à aimer les bêtes sauvages. Des merles, un corbeau perchaient sur les vieux bahuts, un écureuil vous tombait sur les épaules ; dans le jardin couleuvres et orvets rampaient. À cinq ans il s’en faisait des colliers. Depuis il ne manquait jamais d’en capturer lorsqu’il le pouvait. Mais déjà le serpent se laissait descendre au fort du courant et il n’était pas assez bon nageur pour le rattraper. C’est comme une liane gluante qui s’amincit, puis gonfle, puis glisse entre la paume et les doigts ; qui se colle autour du poignet… et ce sifflement d’effroi et de haine au bout de la petite flamme de la langue (…) Elle m’a aidé à consolider mon bonheur et je lui ai enlevé sa liberté, c’est-à-dire tout ce qui est en elle de beau, de sain, et qui en fait un être nécessaire, un détail à l’harmonie de la vie ! Je n’ai pas le droit de la détacher de ce passé où je puise ma force. À midi je la rapporterai dans le carré d’herbe de l’hôtel, et, dès que je pourrai je la ramènerai dans son pays sauvage (…). ![]() Les dédicaces des 3 lauréates
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