Il tressait des paniers de ronce, elle fabriquait des poupées de laine, il bâtissait l'Opéra. Quoi de commun entre ces trois personnages sinon qu'ils sont nés de l'imagination de trois auteurs, familiers de l'écriture ou pas, qui se sont laissés porter par le thème choisi en 2022 par "les amis de Bugeat", pour leur festival : " L'art et la main en Limousin". Seize ont concouru, trois ont été choisis.... et primés. Vous allez lire trois belles histoires où matière, technique et poésie du geste cachent trois secrets - des secrets comme il en existe dans toutes les familles, mais qui s'inscrivent dans ce pays où la vie est dure et les couples pas toujours bien assortis, où l'on devait partir pour rapporter de quoi faire vivre le pays, où l'on s'est beaucoup battu pour la liberté. Et pourtant, des mains de ces trois là, qui ont vécu, souffert, aimé, l'art est né : la surprise vous attend au bout de l'histoire. Le mot de l’éditrice Lancer un concours de nouvelles, bourg reculé mais néanmoins charmant de la Montagne limousine, entre Meymac et Eymoutiers, “Les amis du Pays de Bugeat” ont osé le faire. Ils ont osé lui donner comme nom celui de Georges-Emmanuel Clancier, qui écrivit sa première Nouvelle à Bugeat. Ils ont osé proposer comme thème (exigeant), « L'art et la main en limousin ». Ils ont osé solliciter son fils Sylvestre comme membre du jury, qui a accepté. D'autres personnes de renom ont suivi, comme Jean-Marie Borzeix, journaliste et homme de lettres, qui fut directeur de France Culture, Président de Télérama etc…, auteur de jeudi Saint et de bien d'autres titres, ou comme Alain Absire (Prix Femina 1987, président de la SOFIA…). Mais rien n’était gagné d’avance ! Qu’allait-on recevoir ? Allait-on seulement recevoir des textes ? Les textes envoyés nous ont surpris et enchantés. Emanant pour la plupart d’auteurs inconnus, tous disaient quelque chose d’important et le disaient bien, très bien même, tout en laissant en haleine leur lecteur. Tous parlaient avec force de la beauté du geste et de leur ancrage dans cette terre. Le choix fut dur, il fallut émettre des critères : respect du thème, du genre “nouvelle”, style, suspense… Tous ou presque y répondaient. En définitive, l’éditrice est très fière d’accueillir dans sa maison les trois auteurs lauréats de ces trois nouvelles et de les faire connaître au public. ![]() Marie-France Houdart |
1ère Nouvelle primée Aux Bardines, d'Agnès Nouaille, qui évoque une maison où vécut une lignée des femmes ses ancêtres ![]() Née en 1971 en Corrèze, Agnès Nouaille passe une enfance paysanne et libre au sein du hameau ancestral. Après des études d'Arts plastiques à la Sorbonne, elle enseigne les arts appliqués en région parisienne puis devient art-thérapeute et reprend la petite ferme familiale. Danseuse, elle crée des ateliers d'expression corporelle à destination des enfants. Elle expérimente depuis peu l'écriture, en lien avec les mémoires enfouies de son village natal Extraits 1 : « Au Châtenet, les maisons abritent les histoires. Elles portent le nom des figures qui en incarnent la trame, tel celui de quelques aïeules mémorables en parfaite résonance avec leur caractère bien trempé, intraitable, souverain. Tous ces personnages se côtoient, forment un paysage de souvenirs dont les secrets jalousement gardés au fil des sentiers n’en éclairent pas moins la légende, toujours prompte à percer au travers du feuillage chatoyant des générations. Les enfants eux-mêmes fréquentent ces ancêtres, habitués qu’ils sont à leur apparition mais sans jamais en dire mot, ni à l’école ni à l’église… C’est là que s’ouvre le récit, pour peu qu’on sache franchir le perron. » Extrait 2 : « Je repris ma place sur une marche de l’escalier qui monte au grenier. Les tégénaires tissaient dans les coins, comblaient le vide laissé par les maigres objets que de lointains cousins avaient emportés. Même les grands colliers noirs qui éblouissaient mon enfance semblaient avoir disparu. Je doutais fort que ces chapelets aient accompagné leurs adoratrices. Quant aux journaux des murs, ils formaient à présent des lambeaux de dentelle?; le pavage s’était affaissé, les embrasures écaillées. Désemparée, je décidai de gravir les marches escarpées du grenier que je ne connaissais pas. Tandis qu’un fatras de balarias et de paniers rongés, usés, inachevés, apparaissait peu à peu dans la pénombre, ma surprise fut interrompue par la curiosité de mon oncle paternel, voisin immédiat des lieux?: «?S’en tornar, los Bardines???»?; «?Sabe pas… En tout cas, ce ne sont pas les palhissons qui manquent?!?», lui répliquai-je. «?C’était au Père Bardi…?», lâcha-t-il sans m’en dire plus, tant il est vrai qu’ici, on n’obtient jamais de réponse pleine et entière à la question qu’on a posée ». Extrait 3 « Quoi qu’il en soit, la saison propice à l’enracinement d’un pommier Sainte Germaine avait vu le Père Bardi se rendre à Gourdon-Murat, dans une ferme disposant de trois demoiselles à marier. Il ne s’en était pas pour autant privé de faire quelques haltes ici ou là, comme aux grands jours de foire, pour prendre des nouvelles. C’est que la marieuse l’attendait, qui avait négocié en paniers et monnaie trébuchante la docilité des futures fiancées… » |
2ème Nouvelle primée La malle de l'ambassadeur, de Xavier Corman L'auteur : Agé de 53 ans, Xavier Corman « sait compter, lire et écrire ». Ecire, il l'a fai depuis toujours… depuis touours à petites doses, participant à des concours de nouvelles. Pour le prix Georges Emmanuel Clancier, de Bugeat, il consacre pour la première fois une nouvelle au Limousin, une érgion pour laquelle son cœur s'est enflammé « en distanciel ». Un premier pas qui en appelle d'autres ! « La malle de l'ambassadeur » évoque les maçons de la creuse qui partaient construire les grands boulevards voulus par le baron Haussmann. Mais que peut-il e passer dans la tête de l'un, rude au travail, fier de son métier et de son pays, et celle de l'autre, plein de certitude et de condescendance, mais… ? » Extraits 1 : « Donc, dans ce grenier, en plus des mille et un excédents dont une vie sédentaire remplit les espaces, il y avait la malle. Une vénérable malle de transport terrestre en cuir, à l’enseigne des Ports et Acheminements Parisiens, avec ses ouvroirs métalliques, sa patine qui faisait mieux encore ressortir ses armatures… Un bel objet, la malle d’un homme qui a réussi et veut, discrètement mais efficacement, que l’on n’en doute pas. Je l’ai ouverte comme on regarde un tableau de maître. » Extraits 2 : « Il y avait une vingtaine de courriers. Je les triais par date et par expéditeur, les disposant sur le sol comme on le fait des cartes dans une patience. J’ouvris mon ordinateur et me mis en devoir de les transcrire. Outre le fait de faciliter leur conservation, j’avais le sentiment que cette méthode froide, neutre, métallique me protégerait contre l’émotion qui me submergeait à la seule vue de ces papiers. Des vies de chair et d’os s’étaient contées et allaient s’ouvrir sous mes yeux, après plus d’un siècle d’enfermement. Peut-être des secrets apparaîtraient-ils au grand jour. Et même si ce n’était pas le cas, je ne pouvais ressentir qu’une immense tendresse pour mon ancêtre, jeune homme ballotté par le vent de l’Histoire et des turpitudes de son siècle, migrant économique dirait-on aujourd’hui. Je comptais sur la machine pour ne pas me laisser déborder par ces sentiments et m’imprégner de chaque phrase. » Extraits 3 : « La dernière lettre du Baron, sur son papier à en-tête personnel, était un courrier d’adieu, adressé au village et non au logement parisien d’Emile. «?Cher Monsieur Emile, vous avez, su au fil de ces années montrer que ceux de votre race s’y entendaient en maçonnerie et dans tous les arts de la construction. Notre Paris ne mesure sans doute pas ce qu’il vous doit, et si je garde aujourd’hui toute la confiance de notre Empereur pour conduire les indispensables transformations qui l’attendent, j’en suis redevable à des hommes comme vous, qui savent faire preuve d’ardeur au travail et se conformer aux instructions qui leur sont données.?». Au-delà de la fatuité de l’auteur, qui transpirait du regard qu’il m’envoyait depuis la photo que j’avais appuyée contre une poutre du grenier pour rendre la lecture plus vivante encore, le compliment me remplit de prime abord de fierté?! «?Vous êtes un plénipotentiaire de votre belle région que j’ai eu l’honneur de fréquenter dans mes jeunes années, un Ambassadeur de votre métier en vérité?». (à suivre… suspens…) |
3e Nouvelle primée La Rigoulette ou les oies sauvages, de Jean Alambre L'auteur : Né le 16 mai 1946 à Paris, vivant en Limousin, Jean Alambre écrivain bien connu, est aussi auteur-compositeur-interprète. Il est notamment l'auteur de Les souffleurs d'étoiles, Jeanne d'Agnoux, De vent de branches et de racines… Quand la France marchait en sabots En ce temps de guerre et d'exode, une jeune fille vient d'être embauchée comme serveuse au café. Joyeuse et jolie, elle attire l'attention de tous les gars du coin. Mais : Extraits 1 : « Le soir, après le départ du dernier client, elle n’était pas de celles qui «?ne pensent qu’à s’en aller galoper?», selon l’expression des vieilles mauvaises langues. Elle restait là-haut dans sa chambrette mansardée, sous le toit, au-dessus du café-tabac. Pas question de la faire aller au bal du samedi soir. Combien d’entre eux l’avaient pourtant invitée un jour ou l’autre. Elle avait ri en refusant gentiment, mais fermement. Ah oui?! C’était tout de même quelque chose que cette Rigoulette qui les faisait rêver lorsqu’elle frôlait les petites tables du père Léon?! De tous ceux qui se souvenaient d’elle, il y en avait plus d’un à s’être aventuré au moins une fois à revenir lui faire quelques charmantes tracasseries, la nuit, sous sa fenêtre. Mais, pour autant, jamais elle n’avait consenti à ouvrir le volet pour lui répondre ou le prier de s’en aller plus loin. Elle était arrivée «?avec les oies sauvages?». Si bien que l’on avait fini par dire qu’elle-même en était une ». Extraits 2 « Il y avait sans doute autre chose qu’elle voulait cacher et que ne divulguait pas l’azur insondable de ses yeux. Les gars soupçonnaient ce secret. Il les obsédait. Ils imaginaient que ces yeux-là étaient tout emplis d’aventures forestières, d’étranges cavalcades nocturnes sur le dos de chevaux ailés aux crinières folles. On eut pu élucubrer à l’infini sur de tels yeux, lire en eux des océans lointains, des étendues sauvages aux graminées ployant sous une brise tiède et le tout inondé par les rayons d’argent d’une belle pleine Lune d’août. Le petit bruit produit par l’éclatement de la gousse mûrie du genêt, le bourdonnement des essaims dans les sapinières nourrissant le silence écrasant d’étouffants midis d’été?: tout leur parlait d’elle et les ramenait à cette Rigoulette?; cette Rigoulette si parfaite que ça leur faisait mal. » Extraits 3 « La seule fois où ils l’avaient vue pleurer, c’était en mars. La chatte du Léon avait fait les petits dans le hangar à bois. Le patron avait voulu descendre à la rigole pour les noyer. Elle avait pleuré toute la matinée. Pire que des giboulées?! Au point que l’apprenti bourreau avait renoncé. Sans plus attendre, plaçant tous les chatons de la portée dans un panier, elle les avait montés là-haut, dans la petite pièce qu’elle occupait sous les toits. Par la suite, paraît-il, il n’y eut plus moyen de faire un pas dans le quartier sans rencontrer quelques bestioles de leur descendance. Une bonne huitaine après le sauvetage des chats, un train d’Ussel transportant des marchandises destinées aux troupes allemandes désormais basées à Limoges, fut attaqué non loin par la Résistance. Ce jour-là, visiblement bouleversée, la Rigoulette, ne leur avait pas semblé plaisante comme à l’accoutumée. » (à suivre…) |