auteure : Françoise Dudognon
80 p.
Format 160 x 210
Mars 2018
ISBN : 978-2-916512-41-9
PVP : 14 € TTC
Une expérience forte, marquante : Calais 2016 Dans le sable, pêle-mêle, des lambeaux de bâche plastique,
des éclats de planches, des bras de poupée, des traces noires
de foyers.
Il se fonde sur l'authenticité de la relation des faits et des
ressentis et ne répond pas à toutes les questions. On espère
simplement qu'il pourra, par l'absence de sensationnel, permettre une plus
simple appréciation de l'extraordinaire et participer, au
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Françoise Dudognon est née en 1952.
De 1978 à 1987, elle a travaillé aux côtés
du réalisateur Jean-Pierre Denis comme coscénariste et costumière
d’Histoire d’Adrien, film en occitan sous-titré en français,
caméra d’or au festival de Cannes en 1980, comme costumière
de La palombière (1983) et coscénariste de Champ d’honneur
(1987). Elle a ensuite continué à exercer son métier
d’enseignante en Dordogne où elle vit.
Illustrations de Jérémy
Capanna
« Je dessine depuis plusieurs années pour différents
projets d'illustration, dans la ville de Clermont-Ferrand où je
vis, et je passe la plupart de mon temps à écrire des histoires,
imaginer des personnages et les faire vivre en bande dessinée.
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1. Les débuts ne sont pas simples : l'espace est très réduit, les cartons sont innombrables, les sacs ont été éventrés. Le tri est en cours, mais le lieu est désert. Une montagne de sacs poubelles noirs pleins de vêtements se dresse contre des palettes, selon trois zones déterminées par critères d'âge. Des cartons s'empilent. Des chaussettes, des pulls, des jouets traînent par terre. Nous ne jetons rien, nous trions, trions, trions, des lots de vêtements de qualité très inégale, certains même ayant été envoyés sales ou mélangés à d'autres articles dont nous ne savons que faire : culottes portées, jouets, biberons… C'est agaçant, mais après tout, est-ce qu'on ne se serait
pas débarrassé de ses cartons en pensant que leur contenu
est préférable à rien ? C'est l'explication qui me
vient à l'esprit quand je me remémore notre discussion d'avant
le départ. Nous ne savons que faire de ce que nous rejetons, cela
nous encombre, retarde notre travail et gâche notre énergie.
2. De l'autre côté de la petite route s'étale un immense terrain plat. Bras de poupée, bouts de tissus, de papier, de plastique, fragments de bois, chaussures, sont mélangés au sable ; un immense broyeur a dû passer par là. Traces d'engins à chenilles, tout est aplani, arasé mais pas nettoyé. Un rat cherche pitance. Ce terrain crie. Seul reste debout au bord de la route un baraquement où sont écrits les mots Jungle books (livres de la Jungle), quel joli nom, quelle merveille, ces lettres de couleur tracées avec soin sur la bâche, sont comme une fleur dans le désert. Juste ce mot, juste ce nom, un miracle. Au loin, un édifice en bâches bleues et blanches à silhouette d'église, surmonté d'une croix ; quelques constructions précaires largement taguées de phrases et de dessins se serrent autour. Les parois crient. Nous traversons cet espace sur un chemin tracé
par des roues de voitures, des gens plutôt jeunes, en baskets ou
en tongs malgré la pluie, s'y promènent en devisant tranquillement.
Il semble que nous croisons pour la première fois des réfugiés.
3.
Nous longeons un immense barnum dont on ne peut deviner l'utilité. Nous ne savons pas ce qu'il abrite. La Belgium Kitchen ressemble à une maison rurale du Maroc. Elle est carrée, avec une cour intérieure et un portail plein assez haut, qui ferme à clef. La clôture de cette porte est presque symbolique car on peut facilement l'escalader. Les bâtiments qui entourent la cour sont des chambres, tout est en bois. Près de l'entrée une grande tente abrite une dizaine de couchettes. La cour est pavée de palettes qui permettent de marcher au-dessus du sable, mais de plus en plus inégales car elles s'enfoncent. C'est un certain Paco qui a inventé ce lieu, nous disent nos guides qui travaillent ici avec des amis. Paco qui veut soigner les gens avec des plantes car, nous assurent-ils, plus de médecin dans le camp, MSF est parti, l'Auberge des migrants ne donne rien. Pourquoi ? C'est révoltant, accablant ! Mes compagnes s'enflamment, je n'arrive pas à le croire. Nous fumons une cigarette autour de la table, au milieu de la cour, dans le soleil couchant d'une beauté glaciale. Un jeune Belge d'origine marocaine, Ilias, se mêle au groupe. Au fur et à mesure de la conversation, il nous apprend que ce
sont des élèves d'une école d'architecture qui ont
conçu les bâtiments selon une technique de construction rapide
expérimentale.
4.
Nous nous enfonçons dans les dunes, le sable est de plus en plus présent, envahissant, collant. Des petits sentiers circulent au sein de l'agglomérat au ras de terre, on tombe quelquefois sur des lieux collectifs où l'on sert du thé et des boissons. Les tags sont omniprésents. On va, on vient, absorbé par des occupations dont nous n'avons aucune idée. Au détour du chemin, des conteneurs blancs comme neige s'empilent derrière un grillage blanc d'environ cinq mètres de hauteur, le même qui coupe l'accès aux embarcadères et au port. Le sol est recouvert d'une castine formée de gros grains qui résistent à l'enfoncement dans le sable. Pas un végétal, pas une irrégularité. Des poteaux tous les trente mètres supportent un éclairage collectif et des caméras. Tout est blanc. Des haut-parleurs au son nasillard et grésillant diffusent une station de radio française. Musique top 50 et spots publicitaires envahissent l'espace sonore. On se croirait dans un film de science-fiction. Je comprends tout à coup que ce sont les fameux logements chauffés mis à la disposition des délogés du camp détruit. 5.
Un regret m'étreint à cette idée. Un regret que je n'ose pas m'avouer tellement la misère que j'y ai vue est grande. Mais je pense aussi à la Jungle comme un lieu où, contre toute attente, s'est développé quelque chose qui a la force du champignon fragile parvenant à passer à travers une couche de goudron (oui, ça existe). J'ai vu un lieu subversif où l'on s'organise et qui étanche la soif d'universel et d'essentiel des milliers de jeunes Européens qui s'y précipitent, s'y relaient, s'y relient ; où, malgré la violence qui s'exprime, parfois, suite aux mesures brutales qui tombent sans crier gare, et face à la dureté de la vie, les réfugiés réinventent le lien par nécessité, un endroit où l'on fait communauté de la façon la plus ample qui soit, qui catalyse des forces vives où l'on invente des alternatives aux dégâts du désordre mondial, engendré part la cupidité humaine. L'autre côté de la médaille de toute situation extrême
et tragique.
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Quelque chose dans la Lande
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