Entre les ronces de la fontaine


Auteurs : Agnès Nouaille


80 p. N et
Format 17 x 12 cm
ISBN : 978-2-916512-91-4
PVP : 21 TTC
Juin 2024

Illustrations de l'auteure : dessins à l'encre sur photos en NB.




L'auteure :

Née en 1971 en Corrèze, Agnès Nouaille passe une enfance paysanne et libre au sein du hameau ancestral. Après des études d'Arts plastiques à la Sorbonne, elle enseigne les arts appliqués en région parisienne puis devient art-thérapeute et reprend la petite ferme familiale. Danseuse, elle crée des ateliers d'expression corporelle à destination des enfants. Elle expérimente depuis peu l'écriture, en lien avec les mémoires enfouies de son village natal.

Elle s'est fait remarquer en 2022 en remportant le 1er Prix Georges-Emmanuel Clancier de la Nouvelle, avec Aux Bardines, qui évoque une maison où vécut une lignée des femmes ses ancêtres.











 







C'est le récit d'une enfance heureuse et sauvage dans un village niché dans les près, entre deux frères bagarreurs et complices, des mémés à foison, au milieu des poules, des pintades et des oies, en compagnie surtout de la  jument Fricka qui emmène la fillette à travers champs et bois.
Elle nous raconte l'histoire de l'agnelle Albertine, perdue et recueillie dans ses bras, la mort du grand chêne sacrifié, la complicité des arbres qui lui parlent en la caressant de leurs feuilles. Elle se souvient des chiens, ces braves qui, menant les troupeaux, levant le gibier, gardant les maisons, remplissaient toujours leur fonction et du pépé qui tordait la vime pour faire les paniers.
Elle nous dit la chanson lumineuse de l'eau dans les près, avant de se faufiler à travers joncs jusqu'à la fontaine pour abreuver animaux et humains, laver le linge, laver la laine, tandis que les pintades, en costume pointilliste, avancent d'un pas de ballet.



C'est aussi l'histoire des vaches, ces reines incontestées, dont il n'y a pas de mots aujourd'hui pour dire aujourd'hui l'absence. En ce temps-là, les ronces vivaient en paix avec les femmes qui y prélevaient quelques boutons pour soulager leur gorge. C'était hier.







je me souviens d’être aux côtés de ma grand-mère, épuisée par le chemin parcouru, pour mener les moutons à Javaille, une robiera qui n’existe plus. Peut-être est-ce à ce moment-là que naît mon amour intact pour ces prés pauvres parsemés de joncs que l’on torsade aux poignets et entortille aux doigts en guise de bagues propices à convoler en noces avec le vent. Précieuses pâtures sillonnées d’un ruisseau impétueux, qui abritent le bal doré des iris sauvages, la danse des libellules azurées, ces dames de l’été qui amusent les enfants. L’hiver, dans ces moladas, la neige se durcit en gelée crépitante pour céder sous les sabots aigus des chevreuils.





Les arbres de nos forêts, je partage avec eux les racines profondes qui nous plongent ensemble dans le silence. Leur disparition sans cérémonie me révolte et m’affecte au point de susciter l’incompréhension de mes semblables. Mes regrettés noisetiers, qui bordaient le chemin des Grands Prés, formaient un tunnel tendre et rassurant, les branches ployaient de part et d’autre pour s’enlacer. C’était un refuge magique et frais dont le murmure des feuilles transformait l’ombre à chaque passage.




Je confiais mes peines au chêne tant aimé qui trônait à la pointe du jardin. Mon grand-père trouva son ombre fâcheuse pour ses légumes. Il se mit en tête de le couper. Mon opposition fut vaine : ici, les filles ne mènent pas les rébellions.







 Je me suis toujours réfugiée dans la crinière des chevaux. Je me suis oubliée dans la rudesse des crins. Parler au silence des fils entremêlés pour retrouver le sens des jours à venir. Ce lien venait de ma grand-mère, de son enfance de labeur. Pendant la grande guerre, son père dressait les chevaux pour les envoyer au front, afin de fournir la plus effroyable des boucheries. C’est peut-être pour cette raison qu’il leur voua par la suite une affection immodérée, même si la mécanisation était en passe de détrôner ce compagnon dont le pas sûr rythmait depuis longtemps les travaux saisonniers.
 À plus de quatre-vingts ans, il tenta d’enfourcher ma jument sous les yeux réprobateurs de sa fille. Cette scène m’accompagnait encore à son enterrement : alors que nous franchissions le pont de Soudaine en direction du cimetière, un troupeau de chevaux, à la présence inhabituelle en ces prés, suivit notre marche funèbre.



 Les vaches étaient les reines incontestées du Châtenet. Ni les naissances ni les deuils n’interrompaient leur existence paisible, alors que le départ de l’une d’entre elles pour l’abattoir annonçait une journée de peine silencieuse. Même à l’annonce du décès de son épouse, mon arrière-grand-père Léonard répliqua : « Je vais attacher les vaches ». Il ne pouvait les laisser vaquer dans la charriera… Les vaches marquaient le cycle des saisons. Leurs lignées comme leurs noms étaient connus de tous.


 Ici, les ronces vivaient en paix avec les femmes, dont chacune préservait les hommes de ses propres épines… Elles n’étaient l’obsession de personne, du temps où les maisons ne s’inclinaient pas encore vers la ruine. Elles ne pouvaient s’immiscer dans l’argile des murs, ni même grimper fièrement à la cime des arbres, sans être inquiétées par le couteau de novembre ou les chèvres à la bouche délicate.
Si elles sont devenues sauvages, les ronces, c’est d’être massacrées, d’un geste assourdissant, dans l’ignorance ou l’oubli de leur utilité, multiple et majestueuse.

















































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